Symbole de la présence juive à Mogador

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« En 1766, il est vrai, l’Empereur, par une haine particulière contre les habitants de Sainte-Croix [Agadir], en expulsa les négociants européens : mais ce fut pour attirer ces derniers à Mogador dont il voulait faire le chef-lieu du commerce marocain et le seul entrepôt des marchandises d’exportation pour l’Europe. À cet effet, Sidi Mohammed voulut d’abord y créer la plus jolie ville de son empire… »
Thomassy R., « Le Maroc – Relations de la France avec cet Empire », Paris, 1859


Place principale de la médina d’Essaouira

Mogador se dessine : du projet architectural au rayonnement portuaire.
Une porte océane de l’Afrique tournée vers le reste du monde… Essaouira exista par son port dès le VIIe siècle av. J.C.
Au début de l’ère chrétienne les Romains nomment ce site Tamusiga ; il continuera plusieurs siècles d’exister, connu sous le nom d’Amogdul, dérivé du nom d’un saint local Sidi Mogdul, patron de la cité et sera mentionné par les géographes « mouillage d’Amogdoul ».
Dom Manuel 1er, roi du Portugal, établit une tête de port commerciale et militaire dès le XVe qu’il baptise Mogdoura, transformé par les Espagnols en Mogadour, puis enfin par les Français en Mogador. Le port devient l’un des principaux ports du pays.
Au XVIIIe siècle, le sultan Mohammed ben Abdellah décide d’installer dans cette ville sa base navale. Soucieux d’en faire « la plus jolie ville de son empire », il en confie la réalisation à Théodore Cornut, disciple de Vauban, employé par Louis XV à la construction des fortifications du Roussillon ; l’architecte travailla trois ans à édifier le port et la kasbah, dont le plan original est conservé à la Bibliothèque nationale de France à Paris.
Le sultan baptise sa nouvelle ville « Al-Suwaira », la « bien-dessinée ».


Al-Suwaira, organisée en damier dans la tradition du style Vauban.


La seconde ceinture de remparts et la médina ont été dessinées bien après le départ de Cornut, le sultan lui reprochant d’être trop cher et d’avoir travaillé pour l’ennemi britannique.

Sidi Mohammed Ben Abdallah, déterminé à faire d’Al-Suwaira le premier port du Maroc ouvert sur le commerce extérieur, fait appel aux juifs pour remplir cette mission. Les considérant entreprenants et ambitieux, il les dote de postes clés, de possibilités d’intervention infinies, des meilleurs terrains d’exploitation, de financements… Bénéficiant du statut spécial d’intermédiaires entre le sultan et les puissances étrangères, « négociants du roi », « représentants consulaires », « marchands royaux » (Toujjar Es-Sultan), nombreux sont les juifs qui prirent part, à ce moment de l’histoire, à l’organisation de la direction de la ville. Les juifs assuraient le commandement du port et percevaient, de ce fait, les droits de portes ainsi que l’ensemble des impôts directs. C’est à cette période que le port d’Al-Suwaira, principal port du Maroc, se développa fortement pour devenir au début du XIXe siècle jusqu’au début du XXe, le premier port marocain de commerce international.
Cette élite juive, principalement installée près du port, dans l’enceinte de la première ceinture, habitera très vite le reste de la ville, en cohabitation avec l’ensemble de la population musulmane, pour étendre le commerce à d’autres domaines. Sous la protection directe du Sultan, ils étaient les subordonnés des populations indigènes et leur statut social était, pour nombre d’entre eux, supérieur à ceux des plus hauts dignitaires.


Porte Nord de la médina, donnant sur le Mellah

Le Comité de la communauté juive d’Al-Suwaira fut créé à ce moment de l’histoire. Il aida cette population à s’organiser et finança l’installation et le déploiement de la population juive dans la ville. A la mort du Sultan, les juifs occupèrent deux quartiers distincts : la Kasbah et le Mellah.


Arrivée par le Nord dans le quartier du Mellah (avec vue sur SLAT LKAHAL au fond
Les casbaouis, proches du Sultan, étaient dotés des pouvoirs et donc du financement de la caisse communautaire. Ils instaurèrent la première caisse de bienfaisance avec laquelle ils construisirent les premiers logements sociaux. Des maisons d’hôtes, des écoles, un cimetière et une synagogue furent construits selon le même principe de solidarité. Cette caisse était alimentée par de nombreuses taxes nouvellement imposées, afin d’assurer les besoins grandissants de la communauté. Autre source de solidarité : les dons individuels des plus riches aux plus démunis. Nombreuses sont les institutions qui firent appel aux dons de particuliers pour assurer certains services. C’est ainsi que la Hevra Kadicha qui s’occupait des morts, des malades et des agonisants, perçut nombre de dons qui permirent plus tard la construction de la synagogue Slat Lkahal.


Slat Lkahal surplombant la ruelle principale du Mellah.

L’histoire raconte que la synagogue Slat Lkahal fut intégralement bâtie par des juifs. C’est en 1850 qu’ils posent les premières pierres grâce aux fonds réunis à l’occasion de cérémonies funéraires, d’où son nom, unique au Maroc, « Slat Lkahal » (Synagogue de la communauté).

Slat Lkahal devint un espace de rassemblement, un lieu public, la synagogue de tous. En son sein, les juifs de tous horizons s’y retrouvaient pour célébrer les fêtes religieuses. Riches et pauvres, jeunes et vieux, hommes et femmes, érudits et simples croyants s’y réunissaient pour chanter ensemble, au rythme de la musique andalouse ancestrale, les poèmes liturgiques Mogadoriens.
Son implication dans les actions communautaires, pour des motifs religieux, culturels ou sociaux, ont conféré à Slat Lkahal un statut honorifique.
Slat Lkahal est unique dans son dessein ; elle est le vestige et la mémoire d’une fervente communauté.
Au moment de l’instauration du Protectorat français, en 1912, ils étaient 110 000 juifs à vivre au Maroc. La communauté juive s’est réduite au fil du temps : les vagues d’émigration ont eu lieu en 1948, 1961, 1967. Des dizaines de milliers de juifs marocains ont fui le Maroc, pays où ils avaient vécu pendant vingt siècles en toute sécurité pour vivre en Israël, aux États-Unis, au Canada, en France et ailleurs. La communauté juive est ainsi passée de quelques 300 000 personnes en 1947 (sur 10 millions d’habitants) à environ 5 000 en 2007. 90% de ceux qui ont quitté le pays sont partis vivre en Israël.
Aujourd’hui, on compte 5 000 juifs au Maroc, répartis sur quatre ou cinq grandes villes du Maroc. Dans les petites villes ou localités connues jadis pour leurs fortes communautés juives comme Sefrou, Azemmour, Essaouira, Taroudant et Debdou, il n’en reste plus aucun.
Slat Lkahal est abandonnée depuis quarante ans. Elle est pourtant l’un des derniers édifices qui témoigne de l’histoire du Mellah.


Vue de la salle de prières avec son Heikhal

C’est bien grâce à la présence de la communauté juive de Mogador que le visage d’Essaouira est tel que nous le connaissons aujourd’hui.

« Si l’écho de leur voix faiblit, nous périrons. » (Paul Eluard).

Nous souhaitons que la mémoire et l’histoire perdure au cours des siècles à venir. Quelle histoire, quelle mémoire sans patrimoine ? Les pierres sont notre avenir, notre identité, notre Al-Suwaira. Slat Lkahal doit rester un témoignage vivant de la culture mogadorienne.

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